Dr. Jean-Marc Chamot

The Last Samuraï

Le dernier Samouraï: analyse custérienne du film

Le dernier long métrage en date à employer Custer comme repère historique est le fait d’Edward Zwick, passionné par l’histoire du Japon et par le cinéma japonais[1]. Celui-ci, le 1er décembre 2003, mène à terme l’un de ses rêves en réalisant The Last Samurai (Le Dernier samouraï). Si Custer est absent du film, le héros de l’intrigue, le capitaine Nathan Algren, joué par Tom Cruise, a combattu sous ses ordres et la mémoire du Général est évoquée à plusieurs reprises, avec insistance[2].

Le film commence à la fin du mois de juin 1876. On découvre alors que le capitaine Algren est lié par contrat publicitaire avec la firme Remington. Héros des guerres indiennes et officier du 7e Régiment de Cavalerie sous les ordres de Custer, il expose au public de la foire de Chicago les qualités de la nouvelle carabine à sept coups commercialisée par la marque Remington. Lors de la démonstration projetée sur l’écran au bénéfice du spectateur, il parle de la bataille de la Little Big Horn et la foule semble être au courant[3].

Algren a participé aux guerres indiennes et des cauchemars le hantent régulièrement, lui rappelant certaines des missions effectuées par les Tuniques Bleues à l’encontre d’indiens que la mise en scène ne permet pas d’identifier. Devenu alcoolique, il revoit sans cesse ce qui ressemble à la bataille de la Washita. Aussi, lorsque son ancien chef, le colonel Bagley, lui propose une mission lucrative il pense qu’en s’éloignant de la Terra Americana, il oubliera peut-être ce passé trop lourd. Il prend donc le bateau pour un Japon qui, suite à l’avènement de l’ère Meiji, est en train de s’ouvrir au monde occidental. Sa tâche consistera à y former une armée moderne que son expérience des « rebelles » indiens doit faciliter.

Forcé par ses supérieurs d’abréger la formation des soldats japonais et de livrer une bataille prématurée, il est fait prisonnier et mis en présence de Katsumoto, le chef des samouraïs rebelles, interprété par Ken Watanabe. Celui-ci est intéressé par le passé d’Algren et l’interroge sur l’identité de son officier supérieur Algren répond : « C’était un lieutenant-colonel. Son nom était Custer. » Semblant très bien informé, Katsumoto dit alors : « Je connais ce nom, il a tué beaucoup de guerriers. Donc c’était un bon général. » Mais Algren assène alors un jugement catégorique sur Custer : «  Non, il n’était pas un bon général, il était arrogant et téméraire. Il a été massacré parce qu’il a emmené un simple escadron contre deux mille Indiens en colère. » Puis, quand Algren avance que Custer avait fait face aux Indiens avec seulement deux cent onze soldats, le chef des samouraïs dit simplement : « J’aime ce Général Custer. » Le capitaine critique donc ouvertement son ancien Général en le traitant d’officier arrogant et téméraire. Katsumoto affirme ne pas du tout partager son opinion ce qui laisse Algren songeur.

Sur l’ensemble du film, Custer est mentionné à quatre occasions, avec, chaque fois, un mélange de mépris de la part de l’Américain et de respect de celle du Japonais. Cependant, puisque le capitaine en vient à adhérer à la mystique et au mode de fonctionnement de ses ravisseurs japonais, le spectateur est, à la fin du film, en droit de se demander si l’image de Custer véhiculée dans The Last Samurai n’est pas finalement positive. Katsumoto se montrant digne du respect d’Algren et même de son affection fraternelle, les thèses qu’il soutient, les gens qu’il défend deviennent forcément –à leur tour – dignes de respect.

Par certains aspects, le dernier combat des samouraïs ressemble au dernier combat de Custer. Le caractère téméraire au point d’en devenir suicidaire de cette dernière charge à cheval évoque immanquablement nombre de représentations cinématographiques des derniers moments du Général. La disproportion des forces en présence, le fait que l’histoire ait été écrite avant d’être jouée, beaucoup de points sont similaires entre les deux situations. Katsumoto relève lui-même d’ailleurs le parallèle après avoir constaté qu’il allaient affronter au moins deux mille soldats de l’armée impériale : « Ils vont venir et nous livrerons notre ultime combat. ». Algren lui pose alors la question suivante : « De combien d’hommes disposerons-nous ? » et Katsumoto répond : « Peut-être de cinq cents, comme le Général Custer. » À ce moment-là, Algren et lui se sourient, l’ancien capitaine montrant ainsi qu’il ne rejette plus son ancien chef mais qu’il en est venu à partager les mêmes valeurs sacrificielles.

Le panache de l’ultime assaut des derniers samouraïs rappelle l’élégance de la fin absurde de They Died With Their Boots On pourtant tourné plus de soixante ans plus tôt. La noblesse de la cause, la défense des valeurs du passé face à une modernisation exacerbée ne sont pas sans évoquer également un autre film concernant Custer, sorti plus de trente années auparavant, Custer of the WestA Good Day for Fighting. Comparer Custer à Katsumoto peut sembler surprenant mais il n’est pas incompatible de voir une sorte de western dans cette œuvre qui se passe pourtant dans une autre civilisation, à des milliers de kilomètres de ses origines[4].

Il ne faut pas oublier que le recrutement du capitaine Algren est justifié par sa connaissance des Indiens et la compréhension qu’il a de leurs techniques de combat. Il est explicitement dit dans le film que les samouraïs sont les « doubles » des Sioux et des Cheyennes. Cependant, ce serait aller trop loin que d’avancer que Katsumoto personnifie un Custer nippon, le trait d’union entre les deux hommes ne s’appuyant que sur le capitaine Algren.

Un élément marquant est à relever. Quand le capitaine Algren parle en ces termes de Custer : «  C’était un meurtrier qui est tombé amoureux de sa propre légende et ses soldats en sont morts ! » il évoque en quelque sorte le cœur de l’existence du mythe du Général dans sa partie sombre. Mais quand Katsumoto avance de façon prémonitoire : « Je pense que c’était une très belle mort. » et qu’Algren rétorque : « Peut-être en aurez-vous une exactement comme cela un jour. » c’est la partie légendaire de la geste de notre héros qui est mise en avant par la réplique de Katsumoto : « Si telle est ma destinée ! » Une fois de plus, au détour d’un chemin cinématographique étonnant, le personnage du Général et son destin s’avèrent des référents incontournables.

 

Dr. Jean-Marc Chamot

Thèse universitaire "Le Général Custer au cinéma, 1909-2004"


 


[1] Notamment par les films d’Akira Kurosawa.

[2] Il s’agit des aventures modifiées du capitaine français Jules Brunet (1838-1911) qui – diplômé de l’École Polytechnique et spécialisé en artillerie – fait partie la première mission militaire envoyée au Japon pour moderniser les armées du Shogunat. Il arrive à Yokohama au début de 1867 et lorsque les armées impériales l’emportent, il démissionne et part au nord du Japon participer à l’établissement de la république d’Ezo. L’affrontement final aura lieu à Hakodate (Hokkaido) en juin 1869.

[3] Scène historiquement impossible car se déroulant quelques jours seulement après le Last Stand (l’information diffusée par le Bismark Tribune le 6 juillet n’avait pas encore avoir atteint Chicago). Comme Algren part au Japon et se trouve en mer le 12 juillet ceci confirme la date. La chronologie est donc toujours un à-peu-près. Le nombre de soldats morts avec Custer reste aussi une approximation.

[4][4] Ce n’est pas la première fois que Japon et États-Unis se rejoignent autour d’un film. Les Sept Samouraïs d’Akira KUROSAWA (1954) est un bon exemple de l’influence du western sur une œuvre japonaise. Ce film a ensuite pesé sur le western, avec The Magnificent Seven (Les sept Mercenaires) (1960) de John STURGES, reprenant la même intrigue, transposée du Japon médiéval au Mexique du XIXe siècle.