Dr. Jean-Marc Chamot

Professeur à l'Université Paris X-Nanterre

They Died with their Boots on

La charge fantastique: analyse custérienne du film

Extrait de la thèse de doctorat "le Général Custer au cinéma 1909-2004"

Le second[1] film de l’époque classique des westerns dans lequel Custer tient un rôle important occupe l’écran le 1er janvier 1942. Il s’agit sans conteste du film le plus emblématique de la mise en valeur du mythe du Général : They Died With Their Boots On (La Charge fantastique). Tourné en noir et blanc, long de cent trente-huit minutes, il est produit par la Warner.

Il s’agit certes d’un western mais aussi d’un biopic[2]. Nick Roddick, dans son étude sur la Warner[3], avance que, même si cette Major[4] ne tourne que soixante-sept biographies, drames en costumes et films de prestige pendant les années trente, ces dernières constituent la majorité des longs métrages de « série A ». Les œuvres de ce type bénéficient des plus gros budgets et, en l’occurrence, la Warner investit dans They Died With Their Boots On la somme très substantielle de 1 357 000 dollars[5]. Le film profite heureusement d’un retour sur investissement important grâce à sa distribution exceptionnelle, avec Errol Flynn incarnant le général Custer et Olivia De Havilland tenant le rôle d’Elizabeth Bacon-Custer. À la lecture du nom de ces deux vedettes à la sensualité et au glamour considérables, on pressent immédiatement que l’impact de l’effet « masculin-féminin » ne va pas être négligeable.

Le titre est tiré d’un livre à succès, un western écrit par Thomas Ripley en 1935 et dont les droits ont été achetés par les studios. L’histoire en est cependant entièrement remaniée une première fois par Wally Kline et Aeneas Mackenzie, sous l’influence de l’ouvrage de F. Van de Water, puis, dans un deuxième temps, la Warner décidant de faire retravailler encore une fois le script afin qu’il corresponde mieux à la personnalité de Flynn, des dialogues supplémentaires sont rédigés par Lenore J. Coffee.

Michael Curtiz est d’abord pressenti comme metteur en scène, mais il est finalement remplacé par Raoul Walsh, lorsqu’on décide qu’Errol Flynn bénéficiera du premier rôle, l’opposition entre les deux hommes s’étant aggravée au fil de précédents tournages[6]. Walsh est loin d’être un débutant à la Warner[7] car, depuis la signature de son contrat en 1939, il a réalisé plusieurs films à succès comme The Roaring Twenties (Les Fantastiques années ‘20)[8] ou They Drive by Night (Une Femme dangereuse)[9]ou encore High Sierra (La Grande évasion)[10].

Pour ce tournage, il est clairement annoncé – une fois n’est pas coutume – que la vérité historique n’est en rien la préoccupation des studios. Robert Fellows, producteur associé en dit que « C’est un conte de fée sans la moindre volonté d’adhérer aux faits historiques[11]. » Que les transformations y soient légion n’a donc rien de surprenant, les frères Warner ayant décidé de continuer dans la veine utilisée pour le très fructueux The Adventures of Robin Hood (Les aventures de Robin des bois) qui était sorti en 1938.

La raison en est fort simple et A. Mackenzie la formule ainsi à Hal Wallis, le producteur : « En préparant ce scénario, la plus grande des considérations fut accordée à la construction d’une histoire qui pourrait avoir le meilleur des effets sur le moral du public en ces jours de crise nationale[12]. » Si, dans la presse, les critiques accusent le film de présenter un Général trop audacieux et de « scalper » (sic) l’Histoire, le succès public, lui, est remarquablement unanime, l’adhésion des spectateurs reflétant bien les attentes de l’époque. De toutes façons, Hollywood connaît une époque dorée et peu de films font alors montre d’un véritable « révisionnisme ». Comme la guerre vient d’être déclenchée, ce ne sont pas d’hésitations ou de scrupules historiques dont le Général, et surtout la nation, ont besoin.

 Ainsi que l’on peut le lire dans Variety : « De toutes façons, parmi les adultes qui connaissent quelque chose à l’histoire de Custer […] les libertés prises par les scénaristes quant à des faits bien établis et authentifiés risquent d’être un peu dures à accepter […] mais dans des westerns, celles-ci et d’autres erreurs importantes concernant l’histoire et les personnages, signifient fort peu pour les producteurs ou les spectateurs. Ce qui donne sa valeur à la chose, ce n’est pas sa véracité mais sa vitesse et l’excitation que l’on en retire. »[13]

L’un des problèmes auxquels est confronté Walsh est d’ordre technique. À la suite des très nombreux accidents subis par les chevaux lors du tournage de The Charge of the Light Brigade, des associations ont fait pression pour que, lors des cascades, les règles de sécurité appliquées aux chevaux soient modifiées[14]. A contrario, pour des raisons « syndicales », il est dorénavant interdit de n’employer que des cavaliers expérimentés et, lors des premiers tournages de charges de cavalerie, il y a trois morts et plus de quatre-vingt blessés avant que Walsh n’obtienne les cavaliers émérites dont il a besoin. Ces deux paramètres vont jouer ultérieurement un rôle important dans la qualité et le réalisme de la représentation de l’ultime bataille du Général[15].

Il est impossible d’évoquer le cheval et la cavalerie sans mentionner l’aisance remarquable d’Errol Flynn. Ce n’est pas un acteur qui joue « au cavalier » mais, comme Custer, il semble véritablement être ce chevalier réincarné qui parcourt les champs de bataille de la guerre de Sécession et les plaines de l’Ouest. Il fait corps avec sa monture avec prestance et à aucun moment ne peut être pris en défaut dans son rôle équestre. Il est impossible pour les spectateurs de ne pas penser au personnage de Robin des Bois, qu’ils ont vu auparavant incarné par le même Errol Flynn. Chaque fois que dans le rôle de Custer ils voient l’acteur à cheval, c’est à un fier chevalier sur son destrier qu’ils peuvent d’abord penser. En outre, comme Robin, l’élève officier de West Point qu’est le jeune George Armstrong aime la nature, les chiens, les armes et les chevaux[16]. Au début du film, dans les scènes se déroulant à West Point, puis dans les séquences de la guerre civile, le personnage de Custer est élaboré par touches successives, en utilisant à l’occasion le comique de situation. Le renforcement des traits caractéristiques du tempérament impétueux du Général laisse cependant présager de l’héroïsme systématique que les frères Warner vont vouloir que Walsh développe dans la suite de l’œuvre.

Certaines scènes – comme celle dans laquelle Custer reçoit sa première affectation au combat[17] – sont révélatrices de l’influence encore prégnante des Romans à Quat’Sous du passé, dans leur forme et dans leur fond. Dans leur forme, car les détails futiles et comiques de la vie quotidienne y valident la véracité de l’histoire ; dans leur fond, car elles font ressortir la marque du « destin » qui n’est pas autre chose que l’expression de la Destinée Manifeste. Les relations du couple de George Custer et Elizabeth Bacon jouent ici pour la première fois un rôle important sur la trame événementielle d’une œuvre cinématographique et il est certain que les ouvrages publiés par la veuve du Général ont notablement influencé la mise en scène[19]. Le charisme du couple d’acteurs Flynn-De Havilland, partenaires pour la huitième et dernière fois à l’écran, a sans aucun doute également joué un rôle fondamental dans la réception du public, leurs relations amoureuses étant de notoriété publique.

Les Indiens, qui avaient été absents de Santa Fe Trail[21], réapparaissent à l’écran mais ne sont pas présentés de façon particulièrement originale[22] et la méthode utilisée pour introduire à l’écran le premier Indigène du film en est très symptomatique. La scène se passe lors du voyage des Custer vers l’Ouest. L’homme est montré en gros-plan médian, tournant le dos à la caméra – il est donc sans visage – faisant partie du décor, presque minéral. Accroupi à côté d’un rocher, il observe subrepticement la caravane qui emprunte la gorge qu’il surplombe. Une contre-plongée montre ensuite deux autres Indiens qui semblent, eux aussi, faire partie du paysage. De telles prises de vue n’ont rien d’original, car elles sont typiques des westerns auxquels le public est habitué. Ce genre de prise de vue est cependant « efficace » en ce qu’il vise à renvoyer l’ennemi à la rugosité, à l’inhumanité du décor.

Le seul Indien ayant une identité définie est finalement Crazy Horse[23] qui est le premier indigène auquel Custer soit confronté et qu’il fait d’ailleurs immédiatement prisonnier après l’avoir vaincu en combat singulier. Lorsque, après s’être évadé de la prison où il est retenu, Crazy Horse revient pour parlementer[24], il incarne l’ennemi irréductible puisque il annonce qu’il ne laissera jamais profaner les Collines Noires sacrées et qu’il les défendra jusqu’à la mort[25]. Cet aspect inflexible est cependant modulé car il dit également que les autres terres indiennes seront cédées aux Blancs.

Pour faire bonne mesure, en ces temps de guerre, les amis de l’Amérique – ses alliés – sont également évoqués, par le biais de multiples allusions, un des buts du film étant bien de soutenir la croisade militaire du pays. Par exemple, le responsable de l’approvisionnement de Custer, le lieutenant Cooke, d’origine canadienne[27], parle avec un accent anglais très marqué. Par précaution, les studios qui tentent alors d’éviter les procès à la sortie de films historiques[28] ont transformé son nom en Butler[29].

En outre, il rappelle dans son comportement certains traits caractéristiques de l’officier d’origine irlandaise qu’avait été Myles Keogh. Cette mise en avant d’« alliés britanniques » participant au combat de Custer n’est en rien innocente. En ces temps de guerre, les studios s’efforcent de rappeler que, dans le passé, les alliés ont déjà affronté l’adversité côte à côte et se trouvent une fois de plus dans le même camp, à l’écran comme sur le champ de bataille[30].

Au titre du mélange des sources, Butler reprend à son compte ce qui a été historiquement le fait de Keogh, c’est-à-dire le parrainage du Garry Owen auprès de Custer. Cet air va donner au régiment « an immortal soul of its own », une âme immortelle qui survivra à la mort de son chef et au massacre de la moitié de ses hommes sur les berges de la rivière Little Big Horn. Une fois que Butler l’aura enseigné à ses collègues officiers, c’est bien au Garry Owen qu’incombera la mission d’unifier le régiment, l’air étant repris par les hommes de troupe et créant entre eux « l’esprit de corps ».

La musique donne ainsi un sens aux paroles que Custer prononce à son arrivée à Fort Lincoln alors qu’il cherche un moyen d’unifier le 7e : « Quelque chose qui n’appartienne qu’à nous, quelque chose qui nous donnera de la fierté qui permettra aux hommes de résister et, si cela s’avère nécessaire, de mourir dans leurs bottes. » (on remarquera que ce discours permet également de justifier le titre du film). Cet air va ensuite être repris à chaque parade, à chaque sortie du régiment et ceci jusqu’à la dernière bataille du Général. C’est aussi seulement quand le régiment aura été « baptisé » par le Garry Owen que Custer commencera à revêtir son célèbre buckskin. Flynn-Custer a certes porté l’uniforme avec élégance et panache jusque-là, mais lorsqu’il endosse cette veste de peau – signalant ainsi son intégration dans l’Ouest – il semble gagner en maturité.

Le personnage de Ned Sharp tient quant à lui le rôle de la « cinquième colonne », effectuant un travail de sape au nom des intérêts politico-économiques de sa famille et poussant les Indiens à la guerre. Lors d’une séquence époustouflante, Ned se laisse entraîner dans une beuverie par Custer[32] qui le berne et l’emmène avec lui vers la rivière Little Big Horn afin de l’obliger à subir le sort qu’il a – comme le formule Custer – réservé jusque-là aux « […] aux milliers de pauvres diables que vous avez envoyés ici avec ce conte mensonger d’or (qu’ils y trouveraient). » sort que les armes vendues par le même Sharpe aux Indiens rend inéluctable. La rigueur apportée par R. Walsh dans cette scène est remarquable, la force intérieure dégagée par Flynn se voit augmentée par un jeu sur le volume des voix des deux protagonistes. Celles-ci diminuent au fur et à mesure qu’augmente l’intensité dramatique de l’affrontement des deux personnages. Sharp évoque les paroles prononcées par Custer des années auparavant, quand ils étaient encore à West Point. Il se souvient de l’éloquence du futur général au sujet de la gloire et des statues de héros, qu’il continue à considérer comme des inepties mais Custer lui rétorque alors : « Lorsqu'il est l’heure de partir, seule la gloire vous accompagne.»

Ensuite, alors qu’ils sont au cœur du territoire occupé par les Indiens, il propose à Ned Sharp de le libérer et, lorsque celui-ci le questionne sur leur destination, il répond simplement qu’ils vont « Vers l’enfer ou la gloire, cela dépend de votre point de vue. » Ned décide finalement de rester avec la troupe et d’assumer son destin et, par le sacrifice auquel il consent finalement, il donne corps au thème redondant du méchant trouvant sa rédemption dans la mort. En mourant il dit à Custer : « Peut-être avez-vous raison … au sujet de la gloire ! »

Le film doit sa réussite à de multiples moments parfaitement en adéquation avec la situation politique du moment. Ainsi, au moment de se séparer d’Elizabeth qui lui dit : « Ne pars pas, tu vas te faire tuer. Je ne te laisserai pas partir. », Custer répond qu’il doit faire son devoir d’officier de l’armée des États-Unis : « C’est l'Oncle Sam (qui m’appelle), je dois rejoindre mon régiment. » Une autre des raisons du succès de l’œuvre est à trouver dans certaines séquences que l’on pourrait qualifier de « magiques ». Reste ainsi dans les annales du cinéma la réplique remarquable de grâce et d’élégance de Flynn-Custer prenant congé d’Olivia de Havilland-Elizabeth en lui avouant : « Traverser la vie à vos côtés a été une chose bien douce, Madame. »

La veille du combat contre les Sioux et les Cheyennes, Custer propose à Butler de le renvoyer vers Fort Lincoln sous prétexte de lui confier du courrier[40]. Celui-ci comprend immédiatement que Custer essaye de lui sauver la vie parce qu’étant « anglais » il est un peu « étranger ». Butler répond « Les seuls vrais Américains de cette bonne vieille paroisse se trouvent de l’autre côté de cette crête et portent des plumes dans leurs chevelures. » et, qu’à ce titre, il n’est pas plus étranger que le reste du régiment. Par ce biais il est rappelé aux spectateurs que les Anglais et les Américains ont des racines communes et qu’ils livrent le même combat, celui de la Seconde Guerre mondiale. Il n’est pas anodin que, composée par Max Steiner, l’illustration musicale de cette séquence soit « My Country ‘Tis Of Thee », qui reprend – comme par hasard – l’air de l’hymne national britannique[42] (comme on l’avait déjà entendu en 1939, à la fin de Drums Along the Mohawk de John Ford).

La victoire finale des Indiens est scandée par un rythme indigène que la musique de Max Steiner oppose au Garry Owen. Custer reste le dernier debout, cheveux longs flottants au vent, au milieu des corps de ses hommes. Walsh souligne visuellement l’écrasement subi par le Général en le filmant en « plongée », ce qui accentue l’impression de raz de marée donnée par la charge indienne[44]. Ses revolvers déchargés, il brandit son sabre avant de s’écrouler, tué presque à bout portant par un Crazy Horse vengeur, en pleine charge.

Parfait symbole de l’Indien qui fait obstacle à l’avancée de la civilisation blanche, le chef indien est aussi présenté comme victime des trafiquants blancs, tout autant que de l’Histoire. Lui et son mode de vie sont déjà anachroniques dans un pays tourné vers les machines, le matérialisme et le capitalisme et, même s’il remporte la bataille de la Little Big Horn, on sait qu’il s’agit là de sa dernière victoire, son sort étant déjà scellé.

À la fin de They Died With Their Boots On, alors qu’Élizabeth a provoqué la démission des politiciens véreux et obtenu la promesse du Président Grant de bien traiter les Indiens, le général Sheridan dit « Venez, ma chère, votre soldat a gagné sa dernière bataille, après tout. »[45] Comme Custer s’est avéré de son vivant incapable d’exposer au grand jour les intentions pernicieuses de Sharp, il n’a plus d’autre solution que d’agir depuis l’au-delà, dans une tradition mélodramatique des plus pures. Celle qui gagne finalement la « dernière » bataille du Général est donc une femme, ce qui n’a rien de surprenant chez Walsh[46].

La lutte de Custer contre le représentant d’un capitalisme irrespectueux de l’intérêt supérieur de la nation se continue ainsi outre-tombe[47]. Sa veuve lui permet de gagner une dernière victoire sur de tels agissements et, ce qui a pu paraître être un échec, une défaite, devient une victoire, marque éclatante de la destinée manifeste[48]. Ce faisant, cette présentation invalide également la victoire des Indiens, ceux-ci n’étant alors que les agents de cette même destinée.

De plus, comme c’est lui qui avait demandé que l’on traite bien les Amérindiens, Custer se trouve déchargé de toute responsabilité, de toute culpabilité, quant aux morts indigènes. Il devient doublement victime. La dernière scène du film montre le régiment marchant à travers les Grandes Plaines avec, en surimpression, l’effigie du Général, comme une image rémanente. La citation du sociologue polonais Kazimierz Zygulski illustre fort bien le but ainsi recherché par les scénaristes :

Dans la théorie et la philosophie de l’héroïsme comme dans sa présentation artistique, le héros est un homme qui remporte en quelque sorte une victoire sur sa propre mort, ce qui lui vaut de gagner l’immortalité sous la forme du souvenir durable que garde de lui la mémoire sociale[49].

Pour le public américain, le contexte de la guerre fait que le parallèle entre les mobiles territoriaux des Indiens farouches et ceux des ennemis nippons ou nazis crève l’écran. Les studios ne font pas autre chose qu’aller dans le sens de ces attentes[50].

La véritable raison qui explique l’énorme succès de They Died With Their Boots On est cette sorte d’union parfaite entre deux mythes en apparence nés l’un pour l’autre : la chose est claire, la légende d’Errol Flynn apporte charme et charisme, plastique et sensualité – et masculinité – au personnage de Custer, perpétuellement en quête de gloire. C’est sûrement grâce à cela que la scène dans laquelle « ils » viennent à mourir « conjointement » a marqué tant de spectateurs de façon indélébile.

Flynn est un interprète mémorable de Custer, modulant son comportement à chaque étape du scénario. Dans la première partie, depuis son arrivée à West-Point jusqu’à la fin de la guerre, le Général n’est que sincérité et ingénuité, dans un style proche de celui adopté par Ronald Reagan dans Santa Fe Trail. Clairement, la guerre est son domaine, sa raison de vivre. Dans un deuxième temps, lorsque les Sharp viennent lui faire leur proposition mercantile, Flynn-Custer se durcit et son visage se ferme pour la première fois. Il aura la même réaction à chaque fois qu’il sera confronté aux politiciens. Ensuite, lorsque le Général retrouve un poste après l’intervention de son épouse, son visage est empreint du même genre de lumière que celle qui l’avait éclairé durant la guerre.

La séquence démontrant le mieux le talent d’Errol Flynn est celle pendant laquelle il essaie, sans succès, de démontrer le bien fondé de ses arguments devant la commission sénatoriale. En quelques secondes, l’acteur utilise alors un large registre, passant de la sincérité, à la colère pour atteindre le désespoir. Les sentiments qu’il exprime alors sont d’une humanité propre à lui gagner n’importe quel public. Si Ronald Reagan avait su en son temps nuancer son rôle, il était cependant resté dans un registre assez juvénile. Errol Flynn parvient quant à lui à conserver une palette d’expressions similaires tout en contrastant plus clairement le passage d’une scène à l’autre, amenant finalement son personnage à maturité.

Une autre raison du succès du film est certainement à trouver dans le talent de Raoul Walsh. Son habileté de metteur en scène est particulièrement notable. Ainsi que le relèvent Tavernier et Coursodon :

Olivia quitte brusquement le champ lors d’une de ses premières rencontres avec Flynn, le laissant seul dans le cadre ; Walsh raccorde alors sur un mouvement d’appareil s’approchant de la jeune femme qui se dirige vers sa demeure, mouvement qui démarre avant que Flynn n’entre à nouveau dans le plan. L’effet restitue à la fois l’impulsion émotionnelle, trait de caractère dominant de Custer, qui le décale toujours par rapport à une réalité autre que guerrière, la brusque attirance qu’éprouvent les deux jeunes gens l’un pour l’autre, la détermination d’Olivia de Havilland qui devient le pivot de la scène[51].

Une telle capacité à gérer la composition et le rythme des prises de vues a pour effet de retenir le spectateur captif, fasciné par la beauté du spectacle.

C’est pour de tels éléments que, finalement, ce n’est pas l’impressionnant budget dont a bénéficié le film qui a imprégné les esprits mais plutôt cette intuition qu’avaient les spectateurs d’assister là au plus emblématique des films custériens héroïques. Fortement revendiqués par la Warner, les liens avec le passé avaient été annoncés et il a été proclamé que la mise en images du Last Stand du film était fondée sur la gravure de Becker.

En dépit du côté sociologiquement démodé[53] que représente la mythification de Custer et l’anachronisme du personnage[54], la morale que son histoire donne à entendre semble non seulement recevable mais finalement nécessaire face aux temps difficiles qui se profilent à l’horizon. Ainsi on peut lire dans Variety : « C'est à l’évidence un western, un échappatoire aux bombardiers, aux chars d’assaut et à la Gestapo. Ce film est américain jusqu’au dernier de ses participants. » [55]

Le plus étonnant dans ce film est qu’il constitue sûrement le plus bel échantillonnage de modifications jamais endossées par le mythe de Custer. Malgré cela ou grâce à cela, cette œuvre flamboyante est sans aucun doute aussi la plus célèbre de toutes. Le poids de l’histoire contemporaine du tournage est alors suffisamment lourd pour que toute cette récupération homérique semble attendue puis acceptée et validée par le public. Ce film prend certainement la valeur de ces archétypes auxquels Ilya Grigorievitch Ehrenbourg pouvait penser quand il qualifia Hollywood d’« Usine à rêve »[56].

Ce qui est également à noter, c’est le fait qu’après quatorze ans de disparition de Custer dans des rôles importants, ses deux réapparitions se font coup sur coup (Santa Fe Trail et They Died With Their Boots On), en une période où le bellicisme ambiant pousse le public à se rapprocher des anciennes valeurs martiales du passé. Le résultat en est l’apparition à l’écran de deux des Custer cinématographiques les plus célèbres qui aient jamais vu le jour et qui ont définitivement influencé les spectateurs à venir.

Dr. Jean-Marc Chamot

Thèse universitaire "Le Général Custer au cinéma, 1909-2004"

 

[1] Donc le dernier.

[2] C’est-à-dire d’une biographie cinématographique, comme cela a été rappelé supra.

[3] A New Deal in Entertainment: Warner Brothers in the 1930, British Film Institute, Londres, 1983.

[4] Ces grandes sociétés cinématographiques américaines qui dominent l’industrie cinématographique du début des années vingt jusqu’au début des années cinquante et sont au nombre de cinq : MGM, Paramount, Warner, Fox et RKO. Elles voient leurs heures de gloire avant les années cinquante et sont généralement opposés aux trois Minors, Universal, Columbia et United Artists. Voir Jean-Loup BOURGET, Hollywood, la norme et la marge, op. cit., pp. 91-122. Voir également l’article de Christian-Marc BOSSÉNO dans Cent ans d’aller au cinéma, op. cit., p. 21 & p. 26.

[5] Voir à ce sujet Rudy BEHLMER, Inside Warner Brothers (1935-1951), op. cit., p. 208.

[6] Captain Blood (Capitaine Blood), 1935, The Charge of the Light Brigade (La Charge de la brigade légère), 1936, et The Adventures of Robin Hood (Robin des bois), 1938.

[7] Au-delà de ses travaux antérieurs pour la Fox ou la Paramount.

[8] Fin octobre 1939, premier film à être réalisé par WALSH pour la Warner.

[9] Fin juillet 1940.

[10] Fin janvier 1941. Il réalisa également cette année-là Manpower (L’Entraîneuse fatale) et The Strawberry Blonde (Un Dimanche après-midi), donc quatre films au total avec They Died With Their Boots On.

[11] Rudy BEHLMER, Inside Warner Brothers (1935-1951), op. cit., p. 175. On peut également voir évoquées ; pp. 175-177 ; certaines des erreurs factuelles relevées dans le scénario du film et qui inquiétaient L. J. Coffee, à cause des risques de poursuites judiciaires que les descendants de la famille Custer pouvaient envisager.

[12] John E. O’CONNOR, The Hollywood Indian : Stereotypes of Native Americans in Films, Trenton, New Jersey State Museum, 1980, p. 42.

[13] Cité par Roberta A. PEARSON dans « Custer’s still the hero : textual stability and transformation », Journal of Film and Video, Vol. 47, n° 1-3, printemps-automne, 1995, p. 87.

[14] Les pattes des chevaux étaient attachées par des câbles en acier qui les retenaient brutalement alors qu’ils étaient au galop. Les accidents étaient souvent mortels et quand ils ne l’étaient pas, les fractures dont souffraient les montures obligeaient leurs soigneurs à les abattre. Voir Archie FIRE LAME DEER, Le cercle sacré (Mémoires d’un homme-médecine sioux), op. cit., p. 162 et l’article de Paul A. HUTTON, Montana, The Magazine of Western History, Vol. 41, n° 1, 1991, p. 40.

[15] Même si celle-ci est finalement tournée sur un site qui ne ressemble en rien aux abords vallonnés de la rivière Little Big Horn.

[16] De toutes façons Flynn était très marqué par sa Star Persona et semblait dédié aux films d’aventures. Voir Richard SLOTKIN Gunfighter Nation: The Myth of the Frontier in Twentieth Century America, op. cit., p. 258.

[17] Grâce à l’aide du général en chef Winfield Scott (mais certainement pas parce qu’il lui a permis de manger des oignons à la crème !).

[19] Voir Tony THOMAS, The Films of Olivia de Havilland, Secausus, Citadel, 1983, pp. 181-187.

[21] À l’exception d’une voyante Indienne qui prédisait le conflit entre le Nord et le Sud. Cette situation est d’autant plus notable qu’elle parle alors véritablement en  langue indienne, traduite par la jeune héroïne.

[22] Pour tenter de sacrifier au réalisme, R. WALSH essaye de recruter de vrais Sioux pour incarner les Indiens de son film. Malheureusement pour lui, seuls seize d’entre eux acceptent et, en conséquence, il est forcé de les utiliser à l’envi pour les gros plans, se contentant de figurants philippins pour interpréter les autres rôles de « sauvages ». Voir Mark C. CARNES, Past Imperfect (History According to the Movies), op. cit., p. 146-153.

[23] Il est encore une fois interprété par Anthony Quinn.

[24] Ce qui est une transformation cinématographique, Crazy Horse ne s’abaissa jamais à parler aux Blancs, surtout pour établir un tel contrat, et ne rencontra jamais Custer.

[25] Cette scène n’était pas sans rappeler le tableau de Charles SCHREYVOGEL, Custer’s Demand que j’ai étudié en 1.5, et qui ne concernait en rien Crazy Horse mais faisait référence au Kansas et à Satanta

[27] Donc britannique puisque le Canada dépendait de la couronne d’Angleterre.

[28] De telles pratiques étaient fréquentes à l’époque, voir Paul A. HUTTON, Montana, The Magazine of Western History, Vol. 41, n° 1, 1991, p.41.

[29] Cooke ou cook signifie cuisinier alors que Butler signifie maître d’hôtel. En revanche, le surnom dont il était gratifié du temps de Custer, Queen’s Own, est réemployé dans le film comme « témoignage ».

[30] Le Colt du lieutenant William Cooke (qui avait été une prise de guerre en 1876), a été récemment vendu aux enchères au Canada pour $ 60'000. Ceci signifie clairement que nombreux sont ceux qui accordent encore de l’importance au mythe, sous quelque angle que cela soit.

[32] En fait, il était notoire que Custer avait arrêté de boire après une cuite mémorable et humiliante en 1862, à Monroe. (Scène à laquelle sa future femme avait assisté.)

[40] Lettre qu’il vient d’écrire avec une plume d’oie, ustensile qui n’était plus en usage depuis des années.

[42] Si l’on peut se demander si cette référence musicale a été perçue par tous les spectateurs américains, on peut par contre avancer qu’elle a vraisemblablement été appréciée par le public britannique.

[44] Comme cette scène est aux antipodes de celles prises en contre-plongée pour évoquer Custer pendant la guerre de Sécession, cela permet à Jean-Pierre COURSODON & Bertrand TAVERNIER de dire, dans 50 ans de cinéma américain, op. cit., p. 970, que l’on est loin de la certitude des personnages de Hawk.

[45]  Merveilleuse transformation de la réalité puisque Sheridan est l’homme que l’on crédite du fameux « The only good Indian is a dead Indian. » « Le seul bon Indien est un Indien mort » même s’il avait dit en fait : « The only good Indians I ever saw were dead. » « Les seuls bons Indiens que j’aie jamais vu étaient morts ».

[46] Jean-Pierre COURSODON & Bertrand TAVERNIER, 50 ans de cinéma américain, op. cit., p. 972.

[47] On signalera au passage que dans ces œuvres des années quarante (They Died With Their Boots On et Santa Fe Trail) – les démocrates sont alors au pouvoir – les intérêts financiers soutenus par les républicains sont critiqués, particulièrement les procédés employés par les compagnies de chemin de fer.

[48] Voir Roberta A. PEARSON dans “Custer’s still the hero : textual stability and transformation,” Journal of Film and Video, op. cit., p. 91.

[49] Dans l’article paru dans Culture, Vol II, n°1, Le Cinéma de l’histoire, Le film historique et le héros populaire ; Les Presses de l’Unesco et la Baconnière, 1974, p. 50.

[50] Dans le droit fil de cette démarche, l’année suivante, la Warner n’hésite pas à effectuer un « échange » entre Humphrey Bogart et Cary Grant pour permettre à « Bogie » de jouer pour la Columbia le rôle du sergent Dunn dans Sahara de Zoltan KORDA. Il s’agit alors d’un film de guerre ouvertement propagandiste faisant apparaître américains, britanniques, et français (enfin un seul…) qui affrontent côte à côte les séides du nazisme dans les sables du désert libyen. Ce film, tourné la même année que Casablanca, est méconnu en Europe alors qu’il reçut un excellent accueil du public américain puisque c’est avec lui que Columbia atteignit son record de recettes de cette année-là, 2,3 millions de dollars.

[51] Dans 50 ans de cinéma américain, op. cit., p. 963.

[52] Déjà plusieurs fois évoquée.

[53] Cela faisait maintenant sept années que Glory Hunter l’ouvrage critique de Frederic F. VAN DE WATER avait été publié.

[54] Surtout si l’on pense aux méthodes guerrières que la Seconde Guerre mondiale allait employer.

[55] Variety du 19 novembre 1941, p. 9.

[56]  « Dream Factory » Expression empruntée et popularisée en 1950 par la sociologue américaine, Hortense Powdermaker telle qu’analysée dans son ouvrage Hollywood, the Dream Factory, an anthropologist looks at the Movie-Makers. Boston, Little Brown, 1950, 345 p.